Le secteur technologique a dominé les marchés au cours des dernières années, porté par une explosion sans précédent de l’intelligence artificielle (IA), des semi-conducteurs, du cloud et des modèles d’entreprise basés sur l’automatisation.
Mais depuis quelques semaines, les signaux de tension se multiplient : volatilité extrême, prises de profits massives, divergences techniques, valorisations hors normes…
La grande question : Sommes-nous en train de vivre l’épuisement du rally technologique ?
Ou s’agit-il simplement d’une pause avant une nouvelle jambe de hausse ?
Dans cet article, on analyse les données clés, les signaux techniques, les risques structurels et les conséquences pour les investisseurs.
1. Pourquoi parler d’un “épuisement” du rally technologique ?
Plusieurs indicateurs montrent que le mouvement de hausse dans l’IA et les semi-conducteurs commence à s’essouffler.
✔ a) Des valorisations extrêmes dans l’IA
Des entreprises comme Nvidia, Palantir, Super Micro Computer ou encore certains grands fournisseurs de cloud (comme AWS, Azure ou Google Cloud) ont atteint des niveaux de valorisation qu’on voit très rarement sur les marchés. Plusieurs indicateurs montrent clairement une surchauffe du secteur :
• P/E (ratio cours/bénéfice) extrêmement élevés, parfois 60, 80 ou même plus de 100, ce qui implique des attentes irréalistes sur les bénéfices futurs.
• Une croissance future déjà entièrement “intégrée” dans le prix, laissant très peu de marge d’erreur.
• Des attentes de revenus démesurées, comme si la croissance exponentielle actuelle allait durer éternellement.
• Dans certains cas, les investisseurs paient 30 à 50 fois les revenus… et non les profits — un niveau habituellement réservé aux périodes de bulle spéculative.
Autrement dit, le marché achète une vision extrêmement optimiste de l’avenir, ce qui augmente considérablement la vulnérabilité à la moindre déception dans les résultats ou les prévisions.
✔ b) Une hausse alimentée par quelques titres seulement
Le Nasdaq a été propulsé presque exclusivement par un très petit groupe de géants technologiques :
• Nvidia – moteur principal du boom de l’IA, avec une capitalisation et une croissance des revenus sans précédent.
• Microsoft – dominant dans le cloud et l’intégration de l’IA via Azure et OpenAI.
• Alphabet – croissance alimentée par la pub, le cloud et l’IA générative.
• Meta – forte expansion grâce aux revenus publicitaires et aux avancées en IA.
• AMD / TSMC – indispensables dans toute la chaîne de production des puces IA.
Le problème :
👉 70 % de la performance du Nasdaq dépend maintenant de moins de 7 entreprises.
Cette hyper-concentration est l’un des signaux classiques de fin de cycle haussier, car :
- la croissance se repose sur un nombre trop restreint de titres ;
- le marché devient beaucoup plus vulnérable ;
- une simple déception de l’une de ces entreprises peut entraîner une correction de tout l’indice ;
- les autres secteurs et titres ne participent plus vraiment à la hausse.
C’est typiquement ce qu’on observe à la fin des grandes phases d’euphorie :
une poignée de leaders porte tout le marché, pendant que le reste stagne ou se dégrade.
✔ c) Un essoufflement technique visible
Sur les graphiques :
- RSI en surchauffe (70–90)
- Bougies “blow-off top”
- Volumes de distribution
- Rejets violents sur les résistances clés
- MACD en divergence négative
GOOGL, NVDA et META ont tous montré récemment ce type de pattern.


2. L’IA progresse vite… mais les revenus ne suivent pas au même rythme
L’un des plus grands décalages actuels :
Les dépenses en IA explosent… mais les revenus réels n’arrivent pas assez vite.
On assiste à une situation paradoxale :
👉 Les entreprises investissent massivement dans l’IA (infrastructures, GPU, cloud, modèles),
mais 👉 les revenus générés par ces technologies ne compensent pas encore ces dépenses colossales.
Exemples concrets :
• OpenAI signe des contrats massifs… mais reste déficitaire
Même si OpenAI conclut des contrats de plusieurs centaines de millions avec Microsoft, PwC, ou Oracle :
- ses coûts d’infrastructure (GPU + datacenters) explosent,
- le coût d’entraînement et d’inférence des modèles reste extrêmement élevé,
- l’entreprise est toujours structurellement déficitaire.
Articles :
- The Information – OpenAI loses money on every ChatGPT query
https://www.theinformation.com/articles/openai-loses-money-on-every-chatgpt-query - CNBC – OpenAI revenue surges, but long-term profitability unclear
https://www.cnbc.com/2024/03/25/openai-revenue-growth-profitability.html
• Nvidia vend des GPU en quantité record…
Mais :
- la revente massive de GPU sur le marché secondaire fait déjà pression sur les prix,
- certains analystes estiment que le secteur pourrait basculer dans l’excès d’offre dès que la frénésie IA ralentira,
- les clients cherchent déjà à optimiser ou réduire leurs dépenses.
Articles :
- Bloomberg – Surge in second-hand GPUs may signal cooling demand
https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-07-11/second-hand-gpu-market-booms - Reuters – Analysts warn AI chip demand could face saturation
https://www.reuters.com/technology/ai-chip-market-may-face-saturation-analysts-say-2024-06-10/
• Les entreprises clientes réduisent leurs budgets cloud
Même les géants du cloud signalent :
- un ralentissement des dépenses,
- des entreprises qui cherchent à réduire leurs coûts après des années de surinvestissement,
- des migrations vers des solutions hybrides ou plus optimisées.
Ce ralentissement pèse directement sur :
- la demande d’infrastructure IA,
- les achats massifs de GPU,
- les revenus des fournisseurs de modèles.
Articles :
- Wall Street Journal – Corporate cloud spending is slowing
https://www.wsj.com/articles/cloud-spending-slows-companies-seek-efficiency - Financial Times – Cloud companies face pressure as clients cut budgets
https://www.ft.com/content/6a27e83c-dcd1-4d7b-8b14-2ab9bbb01352
Conclusion : un risque majeur pour les investisseurs
Les valorisations actuelles supposent que :
💰 Les revenus IA vont exploser dès 2025–2026
🚀 Les entreprises pourront monétiser immédiatement
📈 La demande en GPU restera exponentielle
Mais la réalité est plus nuancée :
👉 Les investisseurs paient aujourd’hui pour des revenus futurs qui pourraient ne pas se matérialiser assez vite.
👉 Une partie du boom actuel repose sur des anticipations, non sur des profits tangibles.
👉 Si la courbe de monétisation met plus de temps que prévu, les actions les plus exposées pourraient fortement corriger.
3. Risques structurels : le jeu circulaire des géants de l’IA
Un phénomène rarement discuté mais essentiel : la demande en IA est en grande partie circulaire, car les géants du secteur s’achètent mutuellement des services, créant une croissance interne plutôt qu’orientée vers l’économie réelle.
Exemples :
• Microsoft achète les modèles d’OpenAI…
• … et OpenAI dépense massivement sur Azure (cloud Microsoft).
• Amazon AWS vend du cloud à des startups IA financées par du capital-risque, souvent encore non rentables.
• Oracle, de son côté, signe de gigantesques contrats IA (notamment avec Nvidia et Cohere) mais dépend fortement de ces mêmes partenaires pour alimenter ses revenus IA.
• Les startups IA achètent des GPU Nvidia,
• Nvidia dépend de TSMC pour produire ses puces,
• Et TSMC dépend des fournisseurs américains de semi-conducteurs.
Résultat : une part importante de la demande IA actuelle provient de l’intérieur du même écosystème, et non d’adoptions massives par des entreprises traditionnelles.
Cette croissance circulaire est un signal classique de fin de cycle spéculatif, observé dans plusieurs bulles technologiques.
Articles pertinents :
• Bloomberg – Nvidia, Oracle and AI demand loops
https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-06-11/oracle-ai-demand-dependence
• WSJ – AI companies buy from each other, raising concerns about real demand
https://www.wsj.com/articles/ai-cloud-microsoft-openai-demand
4. Les investisseurs institutionnels commencent à prendre leurs profits
Les données récentes montrent :
- Ventes massives d’initiés chez Nvidia et Meta
- Hedge funds réduisant leur exposition croissance
- Rotation vers les valeurs financières, énergie et value
- Les options OTM (hors de la monnaie) achetées par les particuliers → signe de complaisance
Quand les professionnels vendent et les particuliers achètent l’euphorie, on approche souvent d’un sommet local.
5. Indicateurs techniques : les signaux d’avertissement
🔻 a) Divergence RSI / Prix
Le prix monte, mais le RSI baisse → perte de momentum.
🔻 b) Vagues de distribution
Observées sur NVDA, GOOGL, META, SMCI.
🔻 c) Rejets violents des sommets
Ex. : GOOGL passant de 307 à 294 en une seule séance.
🔻 d) Volatilité en forte hausse
IV qui grimpe = les options s’attendent à de gros mouvements.

🛡️ 6. Comment un investisseur peut se protéger ?
✔ Utiliser des covered calls pour réduire le risque
C’est parfait en période d’incertitude ou de stagnation potentielle.
✔ Réduire l’exposition aux titres trop volatils
Ex. : SMCI, PLTR, MARA, HOOD.
✔ Se diversifier vers des secteurs résilients
- Valeurs défensives
- Dividendes
- Énergie
- Banques (XLF)
- Commodités (URA, CCJ)
✔ Éviter les options longues et spéculatives
Le marché devient moins directionnel.
✔ Favoriser les ETF technologiques plus équilibrés
7. Alors… l’IA est-elle en train d’atteindre un sommet ?
Réponse courte : Peut-être un sommet “intermédiaire”, mais pas une fin de cycle.
Le secteur de l’IA :
- reste structurellement haussier
- attirera encore des trillions dans les 10 prochaines années
- transformera l’économie
Mais les valorisations actuelles sont trop élevées, et un refroidissement est non seulement probable — mais nécessaire.
👉 Une correction de 10–20% serait saine et bénéfique pour refaire une base solide.
🎯 Conclusion : Moment de prudence, pas de panique
L’essoufflement actuel n’est pas un crash, mais un rééquilibrage.
Les investisseurs doivent :
- devenir plus sélectifs
- privilégier la gestion du risque
- éviter d’acheter les excès
- profiter des corrections pour accumuler graduellement
Le rally technologique n’est pas terminé, mais il entre dans une nouvelle phase, où les gagnants seront ceux qui savent naviguer la volatilité et éviter les pièges de l’euphorie.
